Il est intéressant de noter comment Jésus, le plus intelligent des intelligents, le plus sage des sages, a choisi de nous instruire en utilisant des paraboles toutes simples, à travers lesquelles il réussit toujours à faire passer un message spirituel important. Ces récits allégoriques ou comparaisons empreintes d’une étonnante simplicité ont toujours pour but de nous faire comprendre davantage la réalité mystérieuse du Royaume des Cieux qui est déjà au milieu de nous. Mieux encore, le Royaume au-dedans de nous! (Lc 17, 21)
Tous ceux et celles qui ont reçu le mandat d’évangéliser explicitement savent qu’inventer une parabole moderne toute simple et enracinée dans le quotidien des gens représente tout un défi. La première démarche de l’homéliste ou du prédicateur est souvent de procéder en une collecte d’informations intellectuelles (théologique, historique, sociologique, etc.) pour nous resituer dans le contexte du récit biblique. Et cela est une bonne façon de commencer à préparer un enseignement biblique. Mais on ne doit pas en rester là! Il faut aussi beaucoup de prière et de réflexion une fois cette collecte d’informations terminée, afin d’en extraire l’essentiel du message et d’en arriver à présenter ce contenu d’une façon toute simple et compréhensible.
Malheureusement et plus souvent qu’autrement, lorsque vient le temps de livrer l’enseignement, la simplicité n’est plus au rendez-vous. Et cela, au grand détriment des auditeurs qui se sentent dépassés par le contenu trop intellectuel, sans affection, inaccessible et aride au niveau spirituel. Le discours se voit ainsi dénaturé de sa capacité de nourrir l’âme de l’auditeur. Il devient plutôt un étalage de connaissances, du prédicateur cherchant à épater la galerie. Imaginez si Jésus avait choisi de prendre cette voie! Il aurait pu nous démontrer comment son intelligence, sa science et sa sagesse transcendent infiniment la nôtre. Et cela aurait eu pour effet de nous humilier profondément. Au contraire, il a choisi la voie de l’humilité et de la simplicité pour nous enseigner les plus grands mystères.
Je vous présente une parabole moderne. Elle n’est pas le fruit d’une réflexion personnelle, ni plagiée à partir de lectures ou de sources médiatiques. Elle est tout simplement le fruit d’une intervention divine dans ma vie. Je l’appelle : « La parabole des chats ». À mon humble avis, cette expérience est devenue pour moi et pour bon nombre d’auditeurs, une de mes prédications les plus appréciées des gens. Au fil des ans, de nombreux témoignages d’amis(es) m’ont confirmé jusqu’à quel point elle s’est incrustée profondément dans la mémoire des auditeurs. Tel un glaive, elle a su toucher, par sa simplicité et sa profondeur, le cœur et l’esprit des gens. Preuve que cette prédication venait non de moi, mais de Dieu.
En 1984, durant mon noviciat chez les rédemptoristes sis à Ste-Anne-de-Beaupré, mon confrère novice et moi quittons le matin en début de semaine pour Québec. Nous nous rendons dans un grand monastère de religieuses situé en bordure du fleuve St-Laurent et au beau milieu d’un important secteur boisé et retiré quelque peu du bruit de la ville. Plusieurs autres jeunes religieux et religieuses de différentes communautés participent avec nous à cette session de formation—une parmi tant d’autres—à la vie religieuse et visant à nous aider à mieux discerner notre vocation à la vie religieuse ou sacerdotale.
En cette semaine particulière, la session porte sur notre relation personnelle avec Dieu. Une bonne religieuse a été chargée de cette formation. Jusqu’ici tout va passablement bien, et nous en sommes au deuxième jour de la session. Je dis « passablement bien » parce que ma première impression est qu’on parle plus de psychologie que de spiritualité. Mais bon! J’écoute et j’accueille en offrant le tout au bon Dieu. Après le déjeuner, la bonne religieuse nous invite à sortir dehors pour une heure de temps et de nous trouver un endroit où nous serons à toute fin seul quelque part au beau milieu de cette quasi-forêt. Le but de l’exercice? Rester à cet endroit, et nous identifier à quelque chose, n’importe quoi, et de réfléchir là-dessus durant tout ce temps.
Je vous avoue être alors très déçu de cet exercice. Je sors de la salle en murmurant intérieurement : « Perte de temps! À quoi peut servir un exercice si futile? » Et je quitte avec les autres, chacun se séparant afin de nous retrouver seuls dans ce grand espace béni par la main de Dieu.
Après avoir marché quelque peu dans ce magnifique boisé et s’ouvrant plus loin sur le littoral du fleuve St-Laurent, je découvre un petit rocher au milieu de cette forêt. Alors je m’assis dessus, et j’admire le paysage qui se présente à moi. Soudain, je me dis : « Ah oui, j’oubliais! J’ai un exercice à faire. Alors, débarrassons-nous de ce futile exercice au plus vite. » J’aperçois une branche au-dessus de ma tête et je lui demande : « Ô petite branche, est-ce que je m’identifie à toi? Non. Puis je fixe une feuille morte au sol et lui demande : « Ô petite feuille, est-ce que je m’identifie à toi? Non ». Alors voilà, me dis-je, j’ai terminé l’exercice, et je n’ai rien trouvé avec quoi m’identifier. Et alors, je continue d’observer et d’admirer le beau paysage qui s’offre tout autour de moi.
Tout à coup, à environ 50 mètres de moi, j’aperçois au loin un chat. Quelle belle distraction! Mais je suis alors surpris par la beauté de ce chat. « Oh! quel beau chat. » Et moi qui déteste les chats! Mais celui-ci est si beau. Je ne me souviens pas d’avoir vu un si beau chat dans ma vie. Alors, profitons-en, me dis-je. J’ai une heure à ne rien foutre, aussi bien passer le temps agréablement. Je l’appelle depuis mon rocher : « Viens mon beau minou. N’aie pas peur, approche! » Mais le sacré chat ne bouge pas. Il se contente de me regarder. Il a l’air sauvage, indépendant, comme tous les chats. Alors je décide de prendre une voix plus douce et charmante : « Viens mon beau petit minou. Tu es tellement beau. Je ne te ferai aucun mal! Viens, approche. »
Après quelques minutes, il s’approche farouchement, un petit pas à la fois. Puis un autre, et un autre. Il arrête, me regarde et m’étudie; il fait un autre pas. Que c’est long! Mais je persévère et le magnifique minou sauvage s’approche lentement mais sûrement. Et je lui dis sans cesse : « Comme tu es beau! Approche-toi. N’aie pas peur! » Sans mentir, je vous dis que le chat a pris au moins 45 minutes de ma période d’exercice de formation pour se rendre finalement à environ trois pieds de moi. Et je lui parle encore tout doucement avec un beau sourire et des gestes très délicats pour ne pas l’effaroucher. Il est si proche maintenant! Mon labeur a porté fruit. Il est là devant moi et se frotte en ronronnant sur le bord du rocher où je suis toujours assis.
Quelle joie intense monte en moi à ce moment. Je me dis : « J’ai enfin réussi après tout ce long temps d’apprivoisement. Je l’ai séduit et je peux enfin le prendre dans mes bras. Alors j’ouvre mes bras lentement, avec un grand sourire béatifique, et je lui dis : « Viens dans mes bras mon beau minou! » Arrivé à quelques centimètres de lui, je me penche pour le prendre dans mes bras, et… il se sauve comme un éclair et disparaît dans le boisé. « Ah! Malheur de chat! Ils sont bien tous pareils, les sacrés chats! »
Assis sur le rocher en silence et avec un air piteux, avec encore une dizaine de minutes à écouler avant de retourner en classe, j’entends une voix discrète me parler au-dedans de moi. Elle me dit : « Tu étais à ma place sur le rocher, et le chat c’était toi! » « Quoi? » Me dis-je. Stupeur et incompréhension au début. « Que veux-tu dire au juste, Seigneur? Le chat indépendant et sauvage, c’était moi? Mais comment cela est-il possible? » Et je me mets à revivre toute la scène, depuis le moment où j’ai aperçu le beau chat au loin, jusqu’au moment où il s’enfuyait.
Et je continue mon dialogue avec Dieu : « Tu me trouves si beau que ça, Seigneur? Et tu as pris tant de temps et de patience pour m’attirer et m’apprivoiser. Et j’étais si farouche, indépendant même. Et tu prenais une voix si douce pour m’appeler en m’invitant à m’approcher de toi de plus en plus. Et j’en suis arrivé à me laisser séduire en ne craignant plus ta voix et ta présence, au point de ronronner en me frottant sur le roc. Mais alors, Seigneur, lui dis-je, pourquoi ai-je fui soudainement lorsque tu m’as tendu les bras avec tant de tendresse? »
Et je poursuivais ma réflexion en me disant : « Peut-être que je n’ai pas encore comment tu m’aimes profondément et infiniment? Est-ce que je me sens trop indigne de ton amour, malgré ma conversion à l’âge de 24 ans? Est-ce que je manque encore de confiance en toi et en moi, malgré mon cheminement depuis les quatre dernières années? Peut-être es-tu en train de me dire que je ne reconnais pas encore assez que mes talents et tout mon être m’ont été donnés gratuitement par toi, et que je n’ai pas assez de confiance et de reconnaissance que tu es l’auteur de tous les dons que tu as déposés en moi? »
Et je retournais en classe, un peu triste, ne comprenant pas encore ce que le Seigneur voulait me dire. Et la bonne religieuse de nous dire : « Bon. Maintenant, vous allez exprimer à tour de rôle ce à quoi vous vous êtes identifiés dans la nature. » Et mon tour arriva, bien sûr. Alors je racontais tout à mes confrères et consœurs, sans oublier ma réticence et mon manque de foi en l’exercice que l’enseignante nous avait recommandé. Mais lorsque j’eu terminé, j’entendis la surprise générale des autres novices : « Wow! Tu as vécu une expérience vraiment spirituelle dans le boisé. »
Le lendemain après-midi, la journée est encore splendide, avec son beau soleil et sa température des plus clémente, et la religieuse nous redit : « Pendant la prochaine heure, vous allez retourner dans la forêt tout seul, mais vous trouverez un endroit différent cette fois. Durant cette heure, vous allez louer Dieu comme vous ne l’avez jamais fait auparavant. Je veux que vous criiez bien fort à Dieu votre reconnaissance. Louez-le à haute voix, sans craindre et sans hésiter. Bénissez-le pour toutes les grâces qu’il vous a données jusqu’à ce jour. Levez bien haut vos bras. Allez. Je vous revois dans une heure. »
Alors je retourne dans le boisé, je me trouve un endroit différent. Mais cette fois, je suis très sceptique et je me demande en quoi cet exercice peut vraiment nous être utile. Au fond, je me dis que je n’ai pas besoin de crier à Dieu. Il entend ma voix même lorsque je murmure. Je n’ai pas besoin de lever les bras bien haut : mes mains ouvertes suffisent à lui manifester mon ouverture de cœur et d’esprit.
Alors je me mets à louer Dieu bien doucement, sans crier, en restant bien droit et les yeux fermés. Mais pour être franc, je ne ressens presque rien intérieurement. C’est plutôt sec, avec ni plus ni moins d’affection. Alors je décide de jouer le jeu et suivre les conseils de l’enseignante. Je regarde tout autour. Personne en vue. Allons-y! Et je crie tout haut : « Béni sois-tu Seigneur, pour tel don que tu m’as donné! » Je regarde autour…personne ne m’a entendu. C’est rassurant! Je ne passerai pas pour un fou! Alors je lève les bras bien haut et je poursuis mes louanges en criant : « Béni sois-tu pour cet autre don, et pour cette grâce de ma création, et pour m’avoir fait retrouver la foi; pour mes parents, pour ceci et pour cela!…»
À ce moment précis, je commençais à ressentir tout à coup au fond de moi une grande liberté. Je ne me souciais plus des gens autour de moi. J’étais comme tout seul avec Dieu, tout seul au monde. Quel sentiment extraordinaire de liberté! Et devinez ce que je vois devant moi tout à coup? Non, ce n’était pas le beau chat d’hier. C’était un autre chat. Ce chat était laid, salit par la boue, rempli de bardanes (toques) et qui me regardait au loin.
Je vous prie de me croire : je ne l’ai pas appelé ni invité à s’approche de moi! Mais il est venu de lui-même. Il tournoyait autour de moi. Il miaulait et voulait absolument que je le prenne dans mes bras. Et il puait en plus! Alors je pose mon regard vers le ciel, et je me mets à pleurer à chaudes larmes en disant au bon Dieu : « Ok, Seigneur. Je viens de comprendre. Malgré toute ma boue, mes tocs et ma puanteur, j’ai enfin osé venir à toi tel que je suis. Et cette fois, je ne me suis pas enfui, mais je t’ai plutôt supplié de me prendre dans tes bras, et tu as alors eu l’occasion de me prendre dans tes bras, tel que je suis. »
Et le chat laid ronronnait dans mes bras. Il était si content. En apercevant ses nombreuses bardanes collées au poil, je décide de les enlever une par une. J’en prends une délicatement en plaçant mes doigts en dessous de la bardane, et avec les autres doigts, je retire la bardane sans lui faire de mal. Le chat puant ronronnait encore dans mes bras. Une fois la bardane retirée, je la tiens dans mes mains et je réalise tout à coup : « Eh bien! Cette bardane représente mes péchés, Seigneur, n’estce pas? Tu ne les retires pas tous d’un seul coup en arrachant le poil en même temps! Tu les retires doucement, un par un, jusqu’à ce que je sois un jour totalement libéré de leur emprise.
Quelle leçon j’ai eue ce jour-là. C’est comme si le Seigneur me disait : « N’attends pas d’être un saint pour te livrer à Moi! Viens à moi tel que tu es, et moi, je te libérerai et je ferai de toi un saint! »
Imaginez à nouveau la réaction des autres novices lorsque j’ai encore une fois raconté l’expérience que j’avais vécue. Certains étaient si surpris, qu’ils étaient presque sceptiques. Mais la leçon de vie était si édifiante, qu’elle avait touché le cœur de chacun d’eux et les avait encouragés à ne plus jamais désespérer de l’amour et de la miséricorde de Dieu, malgré la profonde indignité que nous pouvons parfois ressentir devant nos échecs, nos péchés et nos manques de confiance. Merci Seigneur, pour avoir donné à chacun de nous cette magnifique parabole des chats!