Le jour où je commençais ma deuxième année à l’école élémentaire St-Raymond en 1963, notre jolie maîtresse, Mme Bérubé, passa dans les rangs et déposa sur le coin de nos pupitres un étrange petit livre gris dont la surface était très rigide.
Lorsqu’elle en eut terminé la distribution, elle prit la parole et nous rappela que chacun de nous avait été baptisé dans la foi catholique romaine et que nous devions par conséquent connaître ce livre par cœur si nous voulions accéder aux sacrements du pardon, de l’eucharistie et plus tard de la confirmation. M. le Curé aurait la responsabilité de voir à ce que ce livre intitulé « Le petit catéchisme » de la foi catholique soit bien compris et assimilé par chacun des étudiants. Autrement, on risquait de se voir refusé ou retardé l’accès aux sacrements.
Les gens d’un certain âge savent que ce petit catéchisme avait été premièrement conçu pour mieux outiller les catholiques à se défendre contre l’envahisseur « protestant » qui semblait gagner de plus en plus de terrain avec ses connaissances bibliques supérieures et ses façons d’évangéliser. Les catholiques qui sont nés bien avant le dernier Concile du Vatican II n’avaient pratiquement aucun accès à la lecture de la Bible. Plusieurs évêques et prêtres de l’époque ne recommandaient pas la lecture de la Sainte Écriture, car ils craignaient qu’une fois devenue accessible au commun des mortels, cela risquerait de les exposer à toutes sortes de fausses interprétations qui aboutiraient à la contamination de la foi catholique authentique. Alors on ne recommandait pas la lecture des saints évangiles. Seuls les évêques et les prêtres étaient autorisés à lire et à interpréter la Bible.
Une des premières conséquences qui résulta de cette crainte liée à la lecture de la Bible est que les catholiques étaient souvent pris au dépourvu et ne savait plus quoi répondre lorsque les frères protestants remettaient en question plusieurs de leurs croyances ou habitudes. Pensons par exemple au dogme de l’Immaculée Conception de Marie dès sa conception; à sa virginité perpétuelle; à sa maternité divine; à son couronnement au ciel. On pense aussi à notre foi en la communion des saints déjà parvenus au ciel; à l’existence du « vestibule » du purgatoire où les âmes doivent poursuivre leur purification avant d’entrer au ciel; à la présence réelle de Jésus dans le Très Saint Sacrement; et j’en passe.
Très peu de chrétiens étaient habilités à répondre adéquatement à ces propos d’ordre exégétiques ou théologiques à l’époque. Il fallait donc trouver une solution pour leur permettre de ne pas se noyer et pouvoir remonter à la surface rapidement, lorsque confrontés par ces « ennemis de notre foi ». Alors l’idée de concevoir un petit catéchisme accessible à tous les catholiques et dans lequel on retrouverait toutes les « questions-réponses » essentielles sur le contenu de notre foi, semblait des plus à propos pour non seulement les aider à mieux se défendre contre les attaques des protestants, mais en leur permettant également d’être mieux renseignés sur les rudiments de notre foi. Ceci les rendrait du même coup capables d’évangéliser à leur tour avec plus d’aplomb.
C’était l’époque de la guerre entre catholiques et protestants! Entre les anglais et les français aussi, car les anglais étaient majoritairement issus de familles protestantes et cherchaient à étendre leur domination dans les territoires francophones.
Au fil de l’histoire, à travers ces confrontations et luttes au niveau des différences culturelles, de langue et de religion, beau gré mal gré, les deux antagonistes durent apprendre à vivre malgré tout l’un à côté de l’autre. Aujourd’hui, force est d’admettre que ces tensions et rivalités se sont de beaucoup estompées avec le temps. Et la sécularisation de notre société a sans doute contribué à rapprocher les deux rivaux d’antan. Mais au niveau religieux, les différences entre catholiques et protestants subsistent toujours, malgré les efforts de rapprochement organisés depuis l’après-Concile Vatican II dans les rencontres œcuméniques. Certes, il y a eu des rapprochements et des compromis accomplis au niveau de l’interprétation scripturaire, mais plusieurs des croyances religieuses catholiques citées plus haut diffèrent radicalement des interprétations qu’en font nos frères protestants.
Voici un exemple concret qui illustre ces tensions et difficultés encore présentes aujourd’hui entre les deux clans chrétiens:
Dans ma cinquième année de ministère presbytéral, je vivais avec deux autres confrères religieux dans le grand presbytère de la municipalité de Mont-Louis en Gaspésie. À l’heure du souper, je reçus un appel téléphonique d’un jeune homme qui me demandait l’hospitalité, car lui et son copain étaient de passage et n’avaient pas d’endroit où se loger et n’avaient que très peu d’argent à leur disposition.
Malheureusement, les chambres étaient complètes chez nous, et je ne pouvais les accueillir au presbytère. Je lui suggérai de leur donner de l’argent pour se reposer à l’Auberge de Jeunesse dans le village où ils s’étaient arrêtés, et profiter aussi d’un bon petit-déjeuner le lendemain. Il s’agissait en fait d’une de mes trois paroisses voisines qui se trouvait à 15 minutes de voiture de mon presbytère. Alors je partais aussitôt pour me diriger vers le petit village de Mont-St-Pierre.
Arrivé dans le stationnement de l’église, je regardais tout autour de moi, mais ne voyais personne à l’horizon. Tout à coup, deux jeunes hommes d’environ 25 ans faisaient irruption au loin et se dirigeaient vers moi. Nul doute que c’était mes deux amis en recherche d’hébergement. Je remarquais leurs longs cheveux et leurs longues barbes, habillés assez pauvrement, mais le sourire aux lèvres.
Je leur souhaitais la bienvenue dans ma paroisse, partageais quelques mots avec eux, et puis leur donnais l’argent nécessaire en leur indiquant l’endroit où se trouvait l’Auberge de Jeunesse. Au moment où je m’apprêtais à partir, les deux élevaient les bras dans les airs et s’écriaient tout haut : « Alléluia, le Seigneur est bon! Béni sois-tu Seigneur! »
À vrai dire, je ne m’attendais pas à ce genre de réaction! Mais en souriant, je leur dis: « Vous, vous êtes des évangélistes protestants! » Tout surpris, l’un d’eux me répondit : « Comment avez-vous deviné? » Je leur répondis en souriant : « Mon petit doigt me l’a dit! » Après les avoir salués chaleureusement, je pris congé de mes visiteurs et je retournai au presbytère.
Le lendemain, la journée s’annonçait extrêmement chaude et humide. Pas un nuage en vue, mais quelle chaleur torride! À l’heure du midi, j’étais en train de prendre le déjeuner avec mes deux confrères religieux et la clochette se mit à sonner. J’ouvris la porte, et devinez qui j’aperçois devant moi? Eh bien oui. Ce sont mes deux amis que j’avais hébergés hier soir dans ma paroisse voisine. En me reconnaissant, l’un d’eux me dit : « Ah, vous êtes le prêtre qui nous a trouvé un lieu pour dormir hier! Merci bien pour votre hospitalité. Nous avons très bien dormi. »
Je leur expliquais que j’étais en train de déjeuner avec mes confrères et leur demandais l’objet de leur visite. Le premier me répondit qu’ils avaient entrepris ensemble d’évangéliser la Gaspésie au complet. Je fus un peu étonné, car en Gaspésie, presque toutes les communautés étaient catholiques de souche. Alors je leur souhaitais bonne chance… mais avant d’avoir terminé ma phrase, à ma grande surprise, l’autre compagnon me demande si je suis baptisé. « Mais que dis-tu, mon frère? Bien sûr que je suis baptisé, lui dis-je. Je suis le pasteur de plusieurs paroisses catholiques dans la région. »
Et d’un ton plus audacieux, il me questionnait à nouveau : « Mais avez-vous été baptisé au complet, c’est-à-dire par immersion, ou simplement en vous faisant verser de l’eau sur la tête, comme la plupart des catholiques? » J’étais tellement surpris par cette question inattendue, que je lui répondis de façon spontanée: « Tu sais l’ami, le Saint-Esprit n’a pas besoin d’un lac pour entrer dans le cœur d’une personne. Il a juste besoin d’un peu d’eau et de la formule trinitaire pour entrer dans son cœur. Et peut-être même qu’aux yeux de Dieu, si une personne mourante non baptisée versait une seule larme accompagnée d’un repentir sincère pour ses péchés passés, cela pourrait suffire pour la faire baptiser dans l’Esprit Saint, et la faire entrer dans la vie nouvelle que le Christ nous a méritée par ses souffrances et par le don de sa vie sur la Croix. »
Et la voix de tonnerre du jeune homme retentit après avoir entendu une telle hérésie sortir de ma bouche! Il se choqua et me dit que mon baptême n’était pas valide et que je devais être baptisé par immersion totale, sans quoi je ne serais pas sauvé par Jésus. Alors plutôt que de m’obstiner jusqu’au jour de la Parousie (le retour en gloire de Jésus prévu à la fin des temps), je luis répondis que malheureusement, je n’avais pas le temps d’argumenter avec eux, mais qu’avant de nous séparer, je pourrais les bénir tous les deux dans leur mission d’évangélisation de la Gaspésie.
« Certainement pas, me répond l’un d’eux d’un ton moqueur! C’est nous qui devons vous bénir! » Alors je leur dis à tous les deux : « D’accord. Bénissons-nous mutuellement devant le Seigneur. » Et croyez-le ou non, nous nous sommes bénis mutuellement et mes deux amis sont repartis, non sans murmurer tout de même, afin de poursuivre leur mission d’évangélisation. Je ne me souviens pas les avoir vus secouer la poussière de leurs sandales en partant, mais cela ne m’aurait pas surpris!
Deux heures plus tard, sous le soleil toujours brûlant et caniculaire, je quittais le presbytère en voiture, car je devais aller travailler dans mon autre paroisse plus à l’est. Aussitôt dépassé l’anse du village où j’habitais, j’aperçus au loin mes deux jeunes hommes qui faisaient du pouce sur le bord du chemin. Ils semblaient désespérés en marchant dans cette chaleur étouffante. Alors je ralentis et m’arrêtai devant eux. Aussitôt entrés dans la voiture, j’entendis l’un d’eux me dire : « Merci, merci, cher monsieur. Il fait si chaud dehors! » Et tout à coup, une fois bien assis, l’autre jeune homme leva les yeux vers moi et me dit : « Non! C’est pas vrai! Encore vous? » et je leur répond que si. Le jeune homme assis à l’arrière laissa échapper un commentaire inattendu : « Eh, bien! Vous êtes probablement un bon chrétien malgré tout! »
Une idée surprenante surgit alors dans mon esprit, et j’ouvris la bouche: « Dites-moi les amis, acceptez-vous de me répondre franchement et sans détour à la question que je vous poserai après vous avoir raconté brièvement un court témoignage? » Ils répondirent par l’affirmative. Alors je me mis à leur raconter l’histoire de ma conversion; comment j’avais été élevé catholique depuis ma naissance et comment j’en étais arrivé à devenir incroyant depuis l’âge de 14 ans; comment j’étais entré dans le monde de la drogue et de la boisson, suivant les inclinations de mes sensualités et de mes caprices et me moquant de la religion et de ceux qui prétendaient croire en Dieu. Dix ans sans jamais mettre les pieds dans une église!
Et puis voilà qu’à l’âge de 24 ans, mon père tomba gravement malade. Il fut conduit d’urgence à l’hôpital et dut y passer le prochain mois et demi en attente d’une chirurgie dont il avait très peu de chance d’en sortir vivant. Durant ce temps, ma vie basculait, et je commençais à me poser des questions sur le sens et le pourquoi de notre existence sur terre. Et par trois fois en trois semaines consécutives, une voix se fit entendre en moi, alors que j’étais tout fin seul dans ma chambre. Elle me proposait de lire ma Bible pour trouver les réponses que je cherchais. Je résistais violemment au début, mais je finis par capituler la troisième et dernière fois. Et alors, à force de lire ma Bible durant une heure complète tous les soirs, ma vie commençait à changer lentement mais sûrement. Mon père fut opéré et sortit miraculeusement de son opération. Quelques mois plus tard, je décidais d’abandonner mes dépendances à la drogue et à la boisson, ainsi qu’à mes inclinations sensuelles. Je trouvais une vie de prières que je n’avais jamais connue auparavant, malgré mon baptême et mon entourage catholique. Et plus tard j’entendis l’appel de Dieu à devenir prêtre, et je répondis : « Me voici, Seigneur. »
« Alors, chers amis. Voici ma question. Répondez-moi franchement et sans détour. Qui a opéré ce changement en moi? Croyez-vous que cela est venu de moi? Ai-je eu la brillante idée un jour de me réveiller en me disant: « Quelle belle occasion aujourd’hui d’entreprendre désormais une conversion radicale au Seigneur et d’abandonner toutes mes mauvaises habitudes! Et quant à faire, pourquoi ne pas devenir un prêtre! » « Alors, dites-moi, est-ce que ce mouvement de conversion est venu de moi? »
Mais il y eut un grand silence dans la voiture. Mes amis ne parlaient plus. Alors je poursuivis: « Puisque vous n’avez pas répondu, voici ma deuxième question : Est-ce que cette impulsion ou ce désir est venu du démon? A-t-il décidé un bon matin de me pousser à lire la Bible et devenir un bon catholique après tant d’années d’incroyance? Peut-être est-ce lui encore qui m’a dit : « Tu devrais devenir un prêtre catholique. Après tout, les prêtres catholiques vont tous me retrouver en enfer parce qu’ils ne font pas partie de la bonne religion! » Alors je vous demande encore une fois, mes amis, de me répondre franchement: est-ce le démon qui m’a poussé à me convertir? »
Mais ils demeuraient muets, tant ils étaient stupéfaits et abasourdis par ces deux questions. Alors je conclus en leur disant charitablement: « Votre silence est éloquent, mes bons amis. Vous savez très bien que Dieu seul peut convertir et transformer un cœur en profondeur, en l’attirant dans son cœur et en lui indiquant le chemin à suivre jusqu’à ce qu’il atteigne la vraie liberté intérieure. Seul Dieu peut donner le courage à quelqu’un de le suivre dans le sacerdoce en l’invitant à renoncer aux plaisirs de ce monde et en désirant se donner pour ses frères et sœurs. Alors, revenons maintenant à votre affirmation de ce midi, lorsque vous m’avez dit que je ne serais pas sauvé si je n’étais pas baptisé totalement par immersion. À présent, vous voyez bien et comprenez que l’Esprit Saint n’a pas besoin d’un lac pour transformer la vie d’une personne. Quelques gouttes d’eau et accompagnées des paroles prescrites par Jésus suffisent pour laisser entrer la vie de la Sainte Trinité en nous.
Le restant du trajet se fit dans le plus grand silence. On se serait cru au beau milieu d’une retraite silencieuse dans un monastère cloîtré. Vingt longues et fructueuses minutes sans doute pour mes compagnons de route que Jésus avait placés sur mon chemin depuis le jour précédent.
À votre tour maintenant d’élucider le mystère: lequel des deux baptêmes est valide ou plus efficace? Le baptême par immersion ou le baptême par aspersion?