Quelques mois après avoir été ordonné prêtre, je commençais mon ministère de confession dans la grande basilique de Sainte‐Anne‐de‐Beaupré durant la saison estivale. C’était et sera toujours, à mon avis, un des endroits privilégiés où les prêtres peuvent découvrir la valeur inestimable de ce magnifique ministère et cadeau qui leur est confié au moment de leur ordination presbytérale.
Durant nos années de dévouement dans l’exercice du ministère de réconciliation et de pénitence au sanctuaire, mes confrères et moi avons maintes fois eu l’occasion de voir la main de Dieu agir mystérieusement dans le cœur de ceux et celles qui se présentaient au confessionnal avec foi et humilité.
En quelques minutes seulement, après avoir confessés leurs péchés ou les peines qui pesaient lourdement sur leurs consciences, les cœurs des pèlerins étaient tantôt soulagés, tantôt guéris, et même parfois radicalement transformés par l’action providentielle de l’Esprit Saint qui se manifestait admirablement dans ce sacrement encore si méconnu par tant de prêtres et fidèles.
Combien de fois j’ai eu l’occasion de grandir en écoutant de si humbles confessions de foi en la miséricorde infinie de Dieu. Certaines personnes, sans le savoir, suscitaient mon admiration lorsqu’elles se confessaient avec tant d’abandon et de confiance en sa miséricorde. Parfois, je souhaitais me rappeler de toutes les paroles qu’elles avaient dites afin de m’en servir plus tard comme modèle pour ma propre confession. Mais malheureusement pour moi, à cause de la grâce inhérente au sacrement du pardon qui nous fait souvent oublier tout que nous venons d’entendre 1 dans le secret confessionnel, la mémoire n’était plus au rendez‐vous.
D’autres me procuraient une joie spirituelle indicible lorsqu’elles retrouvaient enfin une paix et une joie profonde, après tant d’années de souffrances ou d’éloignement de l’Église pour toutes sortes de raisons. Combien ont pleuré de joie après avoir été écoutées sans être jugées par le confesseur et après avoir entendu les paroles apaisantes et sanctifiantes: « Et moi, au nom du Père et du Fils et du Saint‐Esprit, je te pardonne tous tes péchés. » En écrivant ces lignes, cette seule pensée me procure à nouveau une joie toute divine. Quel incroyable cadeau nous, les successeurs des apôtres, avons reçu à notre ordination presbytérale et que nous avons la grâce de redonner à tant de cœurs brisés et broyés par les épreuves et les souffrances de la vie. Véritable invention du cœur paternel de Dieu pour soulager et guérir nos pauvres cœurs emprisonnés dans nos ténèbres humaines.
Sans manquer au secret confessionnel, que Dieu m’en garde, j’aimerais vous partager quelques expériences qui ont mené des pénitents à de grands changements spirituels dans leur vie.
Dans ma première année sacerdotale, une jeune dame se présentait un jour au confessionnal. Elle était enceinte et demandait simplement une bénédiction pour la santé de son enfant à naître. Je fis alors une belle prière pour l’envelopper, elle et son enfant, dans la paix et la joie divine et en demandant à Dieu de les préserver de tout mal. Pour conclure, j’implorai la grâce d’un sain accouchement, sans trop de douleur et pour que son enfant soit en parfaite santé.
Une fois la bénédiction terminée, elle se leva doucement et me remercia sincèrement pour cette bénédiction. Sans doute poussé intérieurement par l’Esprit, je rétorquais immédiatement : « Pardonnez‐moi, madame, mais vous avez oublié quelque chose de très important! ‐ Ah oui, dit‐elle? Et qu’est‐ce que j’ai oublié? ‐ De faire une bonne confession avant de retourner à la maison. Pourquoi ne pas profiter de votre séjour ici pour repartir toute renouvelée de cette expérience que vous n’avez peut‐être pas la chance de faire souvent chez vous? »
Aussitôt, la jeune femme éclata de rire. Elle s’exclamait: « Vous, mon père, vous avez vraiment un bon sens de l’humour! » Étonné, je lui posai une deuxième question: « Et pour quelle raison considérez‐vous que j’ai un bon sens de l’humour, chère dame? » Elle répliqua tout bonnement avec un air des plus sérieux: « Mais parce que je n’ai pas de péché, mon père. – Ah bon, lui dis‐je. Mais comme vous êtes malchanceuse, chère madame ! – Malchanceuse, dit‐elle? Et pourquoi suis‐je si malchanceuse? – Parce que vous me démontrez d’une part que vous aimez Jésus en venant lui demander une bénédiction, et d’autre part, vous affirmez n’avoir aucun péché. – Et alors, me répliqua la jeune femme, quel rapport faites‐vous entre les deux? – Eh bien, répondez à cette question après avoir réfléchi quelques instants: pour quelle raison le Fils de Dieu que vous prétendez aimer véritablement, aurait‐il décidé de s’abaisser du ciel pour devenir l’un de nous, lui qui siégeait dans la gloire sublime de son Père depuis toujours? Pour quel motif aurait‐il accepté librement de ubir les fatigues, les peines et les souffrances horribles de sa Passion qui l’ont . finalement conduit à une mort atroce et ignominieuse sur la Croix? Répondez‐moi»
La jeune fille resta bouche bée, baissa les yeux, sans pouvoir dire un mot pendant d’interminables secondes. Puis elle leva les yeux vers moi avec l’expression radieuse d’un enfant qui venait de découvrir un trésor précieux. Elle me dit en souriant: « Pour pardonner mes péchés ? ‐ Exactement, lui dis‐je ! Pour pardonner vos péchés, les miens et ceux de toute l’humanité, sans exception. Mais malheureusement, puisque vous venez de m’avouer que vous n’avez pas de péchés, vous êtes en train de dire à Jésus, et avec le plus grand sérieux: « Seigneur, tu sais bien que je t’aime; mais puisque je n’ai pas de péché, je n’ai pas vraiment besoin de toi! Va plutôt aider ou sauver ceux qui en ont! »
Elle prit soudainement un air triste et devin taciturne. Elle réalisait tout à coup l’absurdité de son affirmation. Elle réalisait enfin qu’elle avait inconsciemment tourné le dos à Jésus pendant de nombreuses années en affirmant une telle sottise. Alors elle me posa une question avec un air perplexe : « Mais alors, Père, pourriez‐ vous m’aider à voir mes péchés? Je ne veux pas être coupé de l’amour sauveur de Jésus! – Certainement, chère amie, lui répondis‐je. Connais‐tu les commandements de Dieu? – Les quoi, me dit‐elle? Les commandements de Dieu? Devons‐nous encore croire à ces anciennes lois? – Eh bien oui, lui dis‐je. Ce sont des paroles que Dieu a dites perpétuelles dans l’Ancien Testament, des paroles qui ne seront jamais abolies. Écoute bien ce que Jésus a dit lors de sa venue sur la terre: « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » (Matthieu 5, 17)
« Accomplir », lui expliquais‐je, signifie que Jésus est venu nous donner une force nouvelle qui nous rend capables de suivre les commandements avec joie et sérénité. Il s’agit en fait de la venue de son Esprit en nous et qui nous donne un véritable « boost » d’amour divin. Notre amour humain prend alors une expansion extraordinaire et devient capable d’observer les commandements sans qu’ils soient un fardeau. Et en fait, celui qui vit et se nourrit de cet amour divin par les moments de prière qu’il passe avec Dieu chaque jour, je dirais qu’il n’a même plus besoin d’observer les neuf derniers commandements. Pourquoi? Parce que si tu observes le premier de tout ton cœur, ton seul désir sera de toujours demeurer en Dieu et de lui être unis en tout. Et la conséquence de cette relation toute‐divine que le croyant entretient désormais avec Lui dans son cœur, le pousseras à désirer de plus en plus à toujours vouloir plaire à Dieu, de vouloir faire sa volonté en tout. Exactement comme les vrais amoureux qui se manifestent souvent leur amour en désirant plaire à l’autre plutôt que de chercher à faire leur propre volonté. »
« Ainsi, lui dis‐je, celui qui aime Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi‐ même, ne voudrais pas commettre de meurtres, d’adultères, d’impuretés, de vols, de mensonges, d’irrespects envers ses parents, etc. Celui qui est vraiment imprégné de l’amour de Dieu aura reçu comme une force nouvelle pour se vaincre et résister à toutes ces tentations; et l’amour divin deviendra dorénavant son unique guide et 3 repère pour sa conduite morale et spirituelle. »
Après lui avoir expliqué ces mystères célestes et lui avoir nommé les dix commandements l’un à la suite de l’autre, la jeune fille m’avoua bien candidement : « Père, j’ai commis tous ces péchés des centaines de fois, sauf tuer quelqu’un! Je viens de ressentir pour la première fois que j’ai vraiment besoin d’être pardonné par Jésus, et besoin d’être sauvé par Lui. »
Puisque j’avais un peu de temps entre les mains, je décidai de poursuivre mon enseignement, car visiblement, son cœur était tout grand ouvert à mes paroles. Je lui parlai alors des sept péchés capitaux en lui expliquant qu’il ne s’agissait pas de fautes mortelles, mais que ces péchés étaient « importants » comme l’étymologie du mot latin le suggère, et qu’on devait les éviter à tout prix, car autrement, ils pourraient très bien devenir des fautes qui conduisent à la mort de l’âme en nous coupant de la grâce sanctifiante de Dieu. Par exemple, la colère qu’on tolère sans faire d’effort pour la surmonter peut nous conduire à la haine, qui peut à son tour conduire au meurtre de quelqu’un. Ainsi en est‐il de chacun des autres péchés capitaux.
Et si l’on perd la grâce sanctifiante de Dieu, à force de tolérer nos vices sans vouloir les reconnaître ou les changer, impossible de devenir des saints. On est laissé à nous‐mêmes. Alors je nommai les sept péchés capitaux à la jeune femme, un par un, en lui montrant que ces fautes ne se limitaient pas seulement du point de vue matériel, mais s’étendaient aussi du point de vue spirituel: la gourmandise par exemple, ne se limite pas seulement à la nourriture. Elle peut aussi être représentée sous la forme d’une curiosité malsaine, sorte de gourmandise spirituelle qui peut causer plus tard bien des ennuis et des problèmes.
Après avoir entendu mes propos, elle versa une larme et me dit : « Père, j’ai commis toutes ces fautes des milliers de fois. Est‐ce que vous voulez bien demander à Jésus de me pardonner toutes ces fautes? » Évidemment, lui dis‐je. » Avec une joie difficile à expliquer avec de simples mots, je lui donnai le pardon de ses fautes. On aurait dit que je ressentais la joie que Dieu ressentait lui‐même à lui pardonner tous ses péchés. Cette jeune femme repartit avec une joie tellement profonde que je suis onvaincu jusqu’à ce jour qu’elle ne ressentait plus le poids du bébé qu’elle portait c dans son sein. Et par ricochet, je recevais une part de cette joie divine en mon cœur.
Comme il est grand le sacrement du pardon! Comme il cache des torrents de grâces insoupçonnées, capables de transformer le cœur humain en quelques instants seulement. Le confesseur doit d’abord commencer par écouter la personne qui se présente; l’écouter sans la juger; l’écouter patiemment comme un médecin afin de lui donner exactement le bon traitement capable de la guérir et de la soulager en profondeur. Mais une fois cette étape terminée, son rôle dernier consistera à ouvrir symboliquement tout grand ses bras de père, ses bras qui deviendront en réalité ceux de notre Père céleste qui désire enlacer son enfant au moment où les paroles d’absolution sont exprimées. Il me semble qu’à ce moment précis, le Père céleste nous redis chaque fois et avec une affection toujours débordante, les paroles mêmes que Jésus dit un jour à Simon le pharisien à propos de la pécheresse qui avait versé sur ses pieds un parfum dispendieux et odoriférant: « Tes péchés, tes nombreux péchés sont pardonnés puisque tu as montré beaucoup d’amour. » (Cf. Luc, 7, 47)