« La foi, c’est quoi au juste? Comment savoir si j’ai vraiment la foi en Dieu ? » Voilà la question qu’un jeune homme de 16 ans me posait il y a une quinzaine d’années de cela, et qu’il exprimait à haute voix devant une dizaine d’adolescents rassemblés dans la maison où habitait l’un des leurs. Pendant deux ans, j’ai rencontré ce groupe de jeunes tous les premiers vendredis soirs du mois. Après avoir débuté la rencontre avec un chant accompagné à la guitare, je présentais le thème où les questions que les jeunes avaient eux-mêmes choisis deux ou trois semaines auparavant.
J’ai commencé mon intervention en leur faisant prendre conscience que tout être humain doit obligatoirement faire des centaines d’actes de foi tous les jours. Pas moyen d’y échapper. En me réveillant, j’ai foi en la possibilité de me lever, de marcher, de parler, de faire toutes sortes de choses grâce à mon intelligence, à ma volonté et à mes capacités humaines. Lorsque je prépare mon petit-déjeuner, je fais foi en la qualité de la nourriture que je mange, car elle pourrait bien m’empoisonner ; je fais un acte de foi lorsque je prends le tube de pâte à dents et que je crois que c’est vraiment de la pâte à dents qui se trouve à l’intérieur. Je fais un acte de foi lorsque j’ouvre la télévision et que le commentateur nous annonce qu’il fait -10 degrés Celsius à l’extérieur ; qu’un homme vient de marcher sur la lune ; qu’une bombe vient d’exploser en Irak; qu’un virus invisible est en train de se répandre partout sur la planète et qui est en train de décimer les plus vulnérables par milliers; etc.
Tous les jours, nous faisons des milliers d’actes de foi. Nous n’avons pas le choix que de les faire, car nous sommes des êtres relationnels qui dépendons les uns des autres à presque tous les niveaux. Un beau matin par exemple, on me raconte qu’on a été témoin d’un accident à tel coin de rue: je fais alors un acte de foi en cette personne, ou bien je refuse de croire en elle. Cependant, même en refusant croire, je suis entraîné à faire un acte de foi, car à ce moment précis, je juge et je crois que cette personne n’est pas crédible pour telle ou telle raison. Vous voyez ? On n’y échappe pas ! La vie (Dieu) nous prédétermine à accomplir des centaines ou des milliers d’actes de foi tous les jours.
Mais pourquoi avons-nous tendance à croire, c’est-à-dire à avoir foi en certaines personnes, plus facilement qu’en d’autres ? La réponse est toute simple : c’est parce que nous entretenons une relation d’amitié ou d’amour avec ces personnes. Plus on aime, plus on a foi dans les paroles, dans les regards, dans les gestes ou dans la sincérité des cadeaux qu’ils nous donnent. Moins on aime quelqu’un, plus on se méfie et moins on croit en ce qu’ils disent ou font à notre égard.
Vous voyez où je veux en venir ? L’amour et la foi sont conçus pour aller de pair, tout naturellement ! Ils sont inséparables. Où il y a l’amour, il y a la foi. Et les deux s’unissent et produisent paix, bonheur d’être ensemble, fidélité et joie dans le cœur de celui ou celle qui en prend possession. Au contraire, moins j’aime, moins j’ai foi en cette personne. Et alors, des sentiments très différents, voire opposés, établissent leurs demeures en moi : je deviens inquiet, craintif, gêné ou mal à l’aise, peut-être frustré ou agressif en compagnie de cette personne pour laquelle je n’ai pas ou peu d’affection.
Tout ce que nous venons de dire jusqu’ici, concernant les actes de foi que nous devons faire tous les jours et qui sont liés avec l’amour que nous éprouvons pour nos êtres chers, est relativement facile à comprendre, car ces considérations sont de l’ordre intellectuel et s’appuient sur des faits et des expériences que tout être humain fait durant sa vie. C’est le premier niveau de la foi. Une foi toute-humaine qui n’intègre pas encore nécessairement l’union de cœur avec Dieu.
Considérons à présent ce deuxième niveau où la foi peut élever l’homme bien audelà des réalités terrestres, et lui procurer des bienfaits infiniment plus grands que ceux qui résultent de l’union entre la foi et l’amour humain. Je parle ici de la foi en Dieu. Cet acte de foi en Lui est en réalité un don qu’Il accorde à ceux qui lui ouvre toute grande la porte de leurs cœurs. Il peut conduire l’homme au plus grand bienfait de tous : celui de posséder Dieu et de vivre en sa présence béatifique éternellement. Sans compter les bienfaits que l’Esprit Saint nous prodigue tout au long de notre vie terrestre par l’entremise de ses sept dons divins. Ce sont là des dons qui rehaussent surnaturellement le niveau de paix intérieure, d’amour pour les autres, de confiance que nous pouvons leur accorder, de conseils inspirés que nous pouvons leur prodiguer, et de la force étonnante que nous manifestons au beau milieu des épreuves et des souffrances qui nous assaillent et qui mènent tant de « sans foi » au désespoir.
Le jeune homme me demandait : « Comment savoir si j’ai vraiment la foi ? » Eh bien, si tu veux savoir si ta foi est vivante, tiède ou morte, recherche les signes qui l’accompagnent. Es-tu habité par le désir de prier et de t’entretenir tous les jours dans un colloque intime avec Dieu ? Te sens-tu mal lorsque tu viens de commettre un péché, et te confies-tu immédiatement en sa miséricorde infinie, avec le ferme propos de ne plus recommencer ? As-tu hâte de recevoir Jésus dans la Sainte Eucharistie ? Vois-tu tes frères et sœurs avec les yeux et le cœur compatissant de Jésus ?
Si tu réponds positivement à ces questions, c’est que tu as une foi vivante et qu’elle te conduira assurément un jour dans le Royaume éternel de Dieu. Si tes réponses sont mitigées, ta foi est tiède, et tu as besoin de redémarrer ton ordinateur, ou encore de le purifier des virus qui sont en train de l’envahir. Finalement, si tu réponds négativement à toutes ces questions, c’est que ta foi est morte et qu’à l’exemple des disciples, tu devrais supplier Dieu de venir à ton secours et d’augmenter ton peu de foi. C’est une question de vie ou de mort… éternelle !
Pour conclure, je fais le lien avec un manque de foi que j’ai eu face aux nombreuses interventions que j’ai faites à ce groupe de jeunes adolescents pendant deux ans. À un moment donné, je me retrouve presque seul dans la grande et majestueuse basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré. Je marche tranquillement en priant et en rendant grâce à Dieu pour la beauté angélique que les différents artistes ont réussi à inculquer dans leurs œuvres, et qui savent si bien élever vers Dieu le cœur des pèlerins. Et tout à coup, je ne sais pourquoi, je commence à penser au groupe de jeunes que j’ai suivi durant les deux dernières années.
Le groupe s’est dissout à présent, car la plupart des jeunes ont quitté leurs foyers pour les universités et les collèges. Comme dans toutes les régions éloignées, ils sont partis pour les milieux urbains ; certains se sont maintenant établis dans les grandes métropoles où ils poursuivent leurs études. Alors je parle à Dieu et lui demande : « Seigneur, durant ces deux années d’apostolat, est-ce qu’un seul de ces jeunes a retrouvé la foi, la vraie foi en toi ? » Oh Thomas ! Pourquoi poser une telle question ? Pourquoi vouloir voir les fruits de ton travail ? Alors je demande pardon à Dieu pour mon arrogance et mon manque d’humilité.
Et une minute plus tard, sans mentir, je vois un jeune homme se diriger vers moi dans la basilique. Je le reconnais : c’est un des jeunes de mon ancien groupe. Il s’approche, me tend la main et serre la mienne en disant : « Père Guy, je suis venu vous dire que vos enseignements m’ont fait retrouver la foi en Dieu. Ma vie a changé complètement. Je ne vois plus la vie comme avant. Merci pour le temps que vous avez pris pour nous rencontrer ! »
Par orgueil, j’ai simplement dit : « Merci bien, mon ami… Rendons grâce à Dieu ! » Mais une fois qu’il s’en était parti, après avoir retenu mes émotions en sa présence, j’ai versé quelques larmes en action de grâces à Dieu pour le bien que Lui, le Seigneur avait lui-même réalisé auprès de ces jeunes, au cours de ces deux années d’évangélisation. Oh homme de peu de foi que je suis ! J’enseignais la foi, et voilà qu’aujourd’hui, je manquais moi-même de foi en la présence agissante de Dieu à travers son apôtre. Des années plus tard, je bénissais le mariage de ce jeune homme, et baptisais ensuite la petite fille qui naîtrait de leur union !
Si nous avions plus de foi en Dieu, cette foi de deuxième niveau dont j’ai parlé, nous pourrions mieux comprendre l’affirmation de Jésus : « Amen, je vous le dis : quiconque dira à cette montagne : “Enlève-toi de là, et va te jeter dans la mer”, s’il ne doute pas dans son cœur, mais s’il croit que ce qu’il dit arrivera, cela lui sera accordé ! » (Mc 11, 23)
« Une foi capable de déplacer les montagnes, » comme nous le disons souvent, s’acquiert uniquement à travers la lecture et l’écoute assidue de la Parole de Dieu et les temps de prières et d’intimité que l’on partage avec Lui sur une base régulière. Plus nous le prions, plus nous l’aimons ; car la prière n’est rien d’autre qu’une conversation familière avec ce Dieu qui nous aime infiniment, et qui va jusqu’à nous le prouver en acceptant de souffrir et de mourir pour nous sur la Croix.
Plus nous aimons Dieu, plus notre foi grandit. Plus notre foi grandit, plus notre âme devient image et ressemblance de Dieu, ce Dieu qui habite désormais en nous et qui nous sanctifie durant tout notre cheminement spirituel. Le grand miracle de la fusion de tout notre être avec celui de Dieu commence ainsi et se poursuivra jusqu’au jour où nous pourrons dire avec l’apôtre Paul : « Ce n’est plus moi qui vit, mais le Christ qui vit en moi. » (Ga 2, 20)
La foi est don de Dieu, nous dit saint Paul. « C’est bien par grâce que vous êtes sauvés, à cause de votre foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas de vos actes, il n’y a pas en tirer orgueil. » (Ep 2, 8) Puisqu’il s’agit d’un don, il nous faut le demander en ouvrant tout grand notre cœur ; et il nous faut l’entretenir par la lecture de la Bible, par nos moments de prière, par nos sacrifices et nos renoncements; et par nos actions charitables envers le prochain.
Jésus n’est-il pas la cause première qui a permis à cette foi de grandir peu à peu grâce à l’Amour divin qu’il a insufflé progressivement dans l’âme, à l’exemple de la petite graine de moutarde qui devient un grand arbre dans lequel les oiseaux viennent se reposer et faire leurs nids? (Mt 13, 31-32) La prière du cœur est toujours un acte d’amour envers Dieu. Il nous faut par conséquent beaucoup de prières, beaucoup d’intimité avec Dieu pour faire grandir notre foi en Lui et dans le prochain.
Revêtu des dons de l’Esprit, l’homme de foi pourra dire, sans hésiter, « montagne, va te jeter dans la mer ! » Et elle lui obéirait. Cela revient à dire que la foi de deuxième niveau, celle qui se laisse transformer peu à peu jusqu’à devenir une seule volonté d’amour avec Dieu, ne se voit rien refusée, car elle a permis à l’homme de devenir Dieu par participation.
À ce stade, la volonté divine est devenue tellement unie avec le cœur de son bienaimé, que la Sainte Trinité réside désormais en lui de façon permanente. Cette personne est maintenant capable d’accomplir les plus grands prodiges grâce à sa foi et son amour inébranlables en Dieu.
« Comment est-ce possible », pourrait-on me demander ? Prenons l’exemple de l’or : après l’avoir fait bouillir à 2 610°C, toutes les scories ou impuretés en ont été éliminées, et l’on se retrouve avec de l’or pur qualifié de 24 carats. Cette analogie nous permet de saisir davantage le mystère de l’action purificatrice et sanctifiante de Dieu dans l’âme. Plus elles sont généreuses dans leur don de soi tout en désirant faire sa volonté en tout temps, plus Dieu peut purifier et sanctifier cette âme. Et cela aboutit à l’union ou la fusion de la volonté humaine avec la volonté divine. Un état de pureté de cœur que l’on définit souvent par les termes d’« union de volontés », d’« union transformante » ou tout simplement de « sainteté. »
Comme il n’y a rien d’impossible pour Dieu, et que c’est Lui-même qui, avec la collaboration de son bienaimé serviteur, l’a amené à un tel niveau de communion, pourquoi alors nous étonner du fait qu’un tel disciple, inspiré et mû par l’action même de ce Dieu qui vit et s’est uni à lui, puisse commander : « Montagne, jette-toi dans la mer… » et qu’elle lui obéisse ?