Devenir des saints et saintes en 40 jours!

Le 1er mars 2022

Devenir des saints et saintes en 40 jours!

Chers frères et sœurs,

Nous voici déjà rendus dans la saison du Carême où Dieu nous appelle à renouveler l’Alliance qu’il a autrefois proposée à nos ancêtres dans la foi. Le mot « alliance » nous fait immédiatement penser à un engagement de fidélité dans l’amour réciproque que les nouveaux mariés se proposent de vivre jusqu’à la fin de leurs jours. Ce mot semble même disparaître complètement des lèvres des époux après la cérémonie officielle du mariage, et devient comme une expression désuète qu’on n’utilise que très rarement pour les grandes occasions. C’est dommage en un sens, car la même chose risque de se produire lorsque nous entendons ce mot retentir à nos oreilles durant la saison du Carême. L’invitation répétée de Dieu qui nous invite à entrer de nouveau dans son Alliance chaque fois que nous célébrons le Carême devient un peu comme une chanson que tout le monde connaît et qui fait en quelque sorte dorénavant partie des meubles. On s’y habitue tellement à force de le répéter du bout des lèvres que le mot devient comme une lettre morte ou simple routine qui fait tout naturellement partie de la sphère sociale du chrétien.

Quand j’ai déménagé en Gaspésie de 1989 à 1995 avec mes trois confrères rédemptoristes, dans le but d’implanter un nouveau projet d’évangélisation auprès des distants de l’Église, je fus charmé dès mon arrivée par cet environnement pittoresque, où chaque petit village était construit au beau milieu d’une anse et comme entourée par deux chaînes de montagnes majestueuses qui semblaient en être les gardiens. J’en eu le souffle coupé en admirant ce décor époustouflant. Un esprit de louange et de reconnaissance s’empara aussitôt de moi et fit jaillir du plus profond de mon cœur des soupirs et des expressions affectives indicibles vers notre Père du ciel qui avait si merveilleusement pensé, voulu et créé cet univers magnifique!

Après avoir passé deux ans à sillonner régulièrement la route panoramique qui longeait le fleuve St-Laurent et qui clôturait en quelque sorte la péninsule gaspésienne, je me rendais compte que mes yeux s’étaient habitués à voir ce splendide paysage qui autrefois suscitait tant d’émotion et d’affection dans mon cœur. Je m’étais comme habitué à le regarder chaque jour, et mon niveau d’émerveillement avait progressivement et imperceptiblement diminué sans que je m’en rende compte. N’est-ce pas ce que nous expérimentons aussi dans nos milieux respectifs et dans l’ensemble de nos relations interpersonnelles? Le temps file entre nos doigts et finit par nous accoutumer à voir les mêmes choses, le même paysage, les mêmes personnes que nous admirions et que nous avons lentement mais sûrement imbriqués dans la routine quotidienne. Au départ, la nouvelle voiture, le nouveau travail, le nouveau conjoint, le bébé qui vient de naître, et j’en passe, suscitaient tant d’admiration et d’affection, mais voilà que dame routine s’est installée pernicieusement et a fini par créer en nous des cataractes qui embuent notre vision des premiers temps. Mais est-il possible d’éviter de tomber dans ce piège sournois et de renverser les conséquences néfastes qui s’introduisent en nous au fil du temps?

Eh bien oui! Quand nous « tombons en amour », nous désirons tous naturellement que cette expérience affective et émotive nouvelle perdure et ne soit occultée par aucun obstacle dans le temps. C’est le bon Dieu lui-même qui nous a créés ainsi, à son image, et qui nous rend capables d’expérimenter une réalité aussi sublime. Contrairement aux autres créatures animées ou inanimées, nous sommes capables de réfléchir, de comprendre et d’apprendre différents langages, de communiquer verbalement ou par signes nos affections ou émotions les plus secrètes, de désirer et de choisir librement de connaître, d’aimer ou de servir; nous seuls pouvons construire des cités complexes et gigantesques pour y vivre et pour nous épanouir. Mais cela vient à un prix!

Dans toute relation d’amour réciproque, il faut accepter d’y investir du temps de présence et de qualité avec l’être cher; accepter de faire de petits ou grands sacrifices pour signifier à l’autre comment il ou elle est spécial-e à nos yeux; et aussi faire preuve de créativité pour apprendre à détourner l’inévitable lassitude qui cherche constamment à s’installer lorsque la communication s’effrite graduellement pour toutes sortes de raisons. Dans le cas de parents par exemple, pour éviter que la routine s’installe et que la communication s’estompe graduellement, il faudra décider de réserver une soirée d’intimité à chaque semaine, peut-être en faisant garder les enfants, afin de garder la flamme de l’amour des débuts toujours allumée et résistante aux bourrasques de vent qui surgissent souvent de façon imprévue.

Autre exemple: prendre la décision qu’avant de s’endormir, les époux pourraient prendre quelques minutes ensemble pour faire un petit examen de conscience sur les événements qui se sont déroulés dans leur quotidien, et se demander mutuellement pardon s’il le faut. Cela exige de l’humilité et de la confiance, bien sûr, car nous blessons souvent autrui par nos actions ou omissions sans vraiment nous en rendre compte. Un dernier exemple de créativité : organiser, si possible, un souper au restaurant ou à l’extérieur avec des amis de temps en temps; acheter un petit cadeau signifiant à l’être aimé de temps à autre afin de briser la routine et de rappeler à l’autre qu’il ou elle a du prix à nos yeux. S’offrir pour accomplir ou partager une tâche quotidienne même si elle semble un peu désagréable au départ. Tous ces petits gestes deviennent alors des moyens de communiquer directement ou indirectement notre amour à l’être aimé et à lui témoigner notre admiration et notre affection.

Et si nous croyons vraiment que notre amour prend sa source en ce Dieu qui nous a créés à sa ressemblance, pourquoi notre relation d’amour avec Lui ne devrait-elle pas s’appuyer sur les mêmes principes et exemples que je viens tout juste d’énumérer, et qui pourraient contribuer à maintenir notre relation d’amour réciproque vivante et durable avec Lui? Le temps du Carême est en réalité un temps pour retomber en amour avec Dieu; un temps pour renouveler notre désir de lui donner une place plus signifiante dans nos vies; un temps pour décider de communiquer à nouveau chaque jour avec Lui et de prendre des temps d’intimité pour converser familièrement avec Lui (par exemple par la lecture assidue de la Bible). « Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.» Mt 6,6. Pour entendre la voix de Dieu, il faut d’abord disposer nos esprits et nos cœurs en les éloignant du bruit et du train-train quotidien. Ce sont-là des obstacles qui nous préviennent parfois de discerner la parole discrète que notre Père du ciel veut nous adresser et qui règne dans les profondeurs de nos cœurs.

Enfin, pour garder la flamme de notre amour divin bien vivante et persévérante, il nous faut imiter les techniques ou principes qui s’appliquent à l’amour humain : faisons-lui de petits cadeaux signifiants de temps à autre durant le Carême. Offrons-lui le cadeau d’une aumône à une personne démunie, d’une prière ou d’une louange d’émerveillement en contemplant la beauté de sa création, d’une souffrance ou de sacrifices offerts avec amour pour réparer les offenses quotidiennes que les gens font à Dieu, ou tout simplement pour le salut d’une âme en détresse. En suivant ces principes et en accomplissant ces suggestions modelées sur l’amour humain, nous en arriverons peut-être à devenir des saints et saintes… en seulement quarante jours!

Durant ce Carême, n’oublions pas de porter dans nos cœurs, d’une façon toute spéciale, tous nos frères et sœurs éprouvés de l’Ukraine, eux qui subissent présentement les ravages et les conséquences désastreuses de cette guerre injustifiée, guerre qu’un pauvre dirigeant politique armé jusqu’aux dents et sans scrupule a décidé de livrer à une nation innocente et bien plus démunie que la sienne. Et ce, pour des motifs d’accroissement de pouvoir et de domination personnelle qu’il ne pourra jamais justifier devant Dieu et devant les humains. Prions pour M. Poutine; prions le rosaire pour son salut éternel et pour tous ceux qui périront et souffriront de sa diabolique entreprise.

Sincèrement vôtre dans le Christ Rédempteur,

 

+Guy Desrochers, C.Ss.R.

Évêque de Pembroke

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