Mardi le 16 août 2022
Triduum de Saint Anne à Cormac: IIème partie de III
L’histoire de la dévotion à sainte Anne + Homélie du dimanche 31 juillet 2022
La rencontre d’Anne et Joachim à partir de la porte dorée du temple de Jérusalem
Avant de retourner auprès de son épouse à Jérusalem, Joachim ordonne à ses serviteurs de préparer 12 brebis toutes blanches qui seront offertes dans le temple du Seigneur; douze agneaux sans souillure qui seront offerts pour les prêtres et les anciens; et 100 chevreaux qui seront offerts pour le peuple. Et le voilà sur la chemin du retour qui durera près d’un mois.
Le jour de son arrivée, un ange apparait à Anne et lui dit : « Allez a la porte dorée du temple à la rencontre de votre mari, qui aujourd’hui même viendra à vous. » Avec ses servantes, Anne se presse et attend fébrilement le retour de son mari. À la fin de la journée, elle aperçoit des troupeaux au loin. C’est bien son mari qui revient après sa longue absence! En le rencontrant, elle s’exclame : « Maintenant je sais que Dieu m’a bénie grandement; j’étais veuve et ne le suis plus; j’étais stérile, et j’aurai une vie dans mon sein! » Anne et Joachim se repose à la maison après avoir été séparé depuis plus de 5 mois. Le bruit se répand par toute la terre d’Israël. Après 9 mois, Anne enfante une jolie fille qu’elle nomme « Myriam », i.e. Marie. Après les jours de la purification accomplie, Anne allaite son enfant.
À six mois, Marie fait ses premiers pas et se jette dans les bras de sa mère. Et Anne dit : « Vive le Seigneur mon Dieu! Tu ne marcheras pas sur la terre jusqu’à ce que je t’aie offerte dans le temple du Seigneur. » Tous étaient séduits par les grâces de cet enfant, au point que certains voulaient l’enlever. À l’âge d’un an, Joachim fait un grand festin : il invite les princes des prêtres et les scribes et aînés du sanctuaire et tout le peuple d’Israël. Il présente sa fille aux prêtres pour la bénir. Ceux-ci proclament : « Dieu de nos pères, bénissez cet enfant et donnez-lui un nom célèbre, éternel parmi toutes les générations. » Anne chante alors un très beau cantique dans lequel elle exalte le Seigneur qui l’a visitée.
Quand Marie atteint sa deuxième année, Joachim propose à Anne de la consacrer dès maintenant au temple, mais Anne recommande plutôt qu’elle soit consacrée à l’âge de trois ans, pour qu’elle ne manque pas ses parents avant d’être sevrée. Joachim accepte. À trois ans, une fois sevrée, Joachim appelle les jeunes vierges les plus saintes d’Israël, afin qu’elles précèdent Marie avec des cierges allumés jusqu’au temple. C’est que Joachim craignait que sa fille ne se retourne et regarde en arrière et que sa pensée puisse s’éloigner de la maison de Dieu. Avant d’entrer, Joachim et Anne déposent leurs habits de voyage et se revêtent de vêtements plus beaux et plus riches.
Quand Marie se trouve devant la porte du temple, « elle en monte les quinze degrés, sans l’aide de personne et d’un pas si rapide, qu’elle n’eut pas le temps de regarder en arrière, ni comme c’est le fait de l’enfance, de réclamer ses parents. » Anne et Joachim, ainsi que les prêtres du temple et toute la galerie, sont stupéfaits en voyant cela. Les pontifes sont saisis d’admiration. On la place sur le troisième degré de l’autel, et le Seigneur lui donne à ce moment une onction de joie. Anne s’émeut et chante un cantique inspiré par l’Esprit Saint. Anne et Joachim retourne à la maison une fois le sacrifice achevé.
Le mariage de Marie et de Joseph
Voici comment se termine cette section du Protévangile de Jacques : « Or Marie était élevée comme une colombe dans le temple du Seigneur, et elle recevait sa nourriture de la main d’un ange. Quand elle eut douze ans, les prêtres se consultèrent et dirent : » Voici que Marie a douze ans, dans le temple du Seigneur. Que ferons-nous d’elle (…)? » Et ils dirent au grand-prêtre : » Toi qui gardes l’autel du Seigneur, entre et prie au sujet de cette enfant. Ce que le Seigneur te dira, nous le ferons. » Et le prêtre (…) pénétra dans le Saint des Saints et se mit en prière.
Et voici qu’un ange du Seigneur apparut, disant : » Zacharie, Zacharie, sors et convoque les veufs du peuple. Qu’ils apportent chacun une baguette. Et celui à qui le Seigneur montrera un signe en fera sa femme. » Des hérauts s’égaillèrent dans tout le pays de Judée et la trompette du Seigneur retentit, et voici qu’ils accoururent tous. Joseph (…) lui aussi alla se joindre à la troupe. Ils se rendirent ensemble chez le prêtre avec leurs baguettes. (…) Or Joseph reçut la sienne le dernier. Et voici qu’une colombe s’envola de sa baguette et vint se percher sur sa tête. Alors le prêtre : » Joseph, Joseph, dit-il, tu es l’élu : c’est toi qui prendras en garde la vierge du Seigneur. »
Comparons maintenant la version racontée par la Vénérable Maria d’Agreda, mystique née en 1602 :
« A l’âge de treize ans et demi (…), elle avait fait vœu de virginité perpétuelle en présence de Dieu et des saints anges, et elle n’avait rien de plus à cœur que de conserver toujours ce beau lys de pureté. Mais le Seigneur lui commanda de prendre l’état du mariage, sans lui découvrir encore qu’elle fut choisie pour être la Mère de Dieu. A cet ordre inattendu elle resta très affligée, mais elle suspendit son jugement, (…) et se résigna à la divine volonté. Dieu dit en songe à Syméon de chercher un époux pour la fille de Joachim (…) Le saint vieillard obéit aux ordres divins. (…)
Le jour fixé arriva, tous les jeunes hommes de la famille de David s’assemblèrent et Joseph originaire de Nazareth, (…) se trouva avec eux. Il était âgé de trente-trois ans, était bien fait de corps, d’un visage agréable et d’une modestie et d’une grâce incomparable. Dès sa douzième année il avait fait vœu de chasteté. Il était parent au troisième degré de la Sainte Vierge. Les prêtres se mirent en prières afin de régler avec l’assistance divine ce qu’il fallait faire. Le Seigneur inspira à Syméon de faire prendre une baguette sèche à chaque prétendant et il leur dit que chacun demandât à Dieu de manifester sa divine volonté. Lorsqu’ils étaient tous en prière, on vit fleurir la baguette que tenait Saint Joseph et voler au-dessus de sa tête une blanche colombe entourée d’une splendeur admirable. (…) Sur la déclaration du ciel les prêtres donnèrent la Très Sainte Vierge pour épouse à Saint Joseph, comme choisi de Dieu. (…) Elle fit alors connaître à son époux le vœu de perpétuelle chasteté qu’elle avait fait, le suppliant de l’aider à l’accomplir; Saint Joseph lui découvrit de son côté celui qu’il avait fait à l’âge de douze ans. Le cœur des deux chastes époux fut rempli de consolation en voyant l’œuvre du Seigneur dans la conformité de leurs sentiments; ils renouvelèrent leurs vœux, promirent d’y être fidèles et de s’entraider pour leur perfection. (…) Le saint mariage fut célébré le 8 sept. Marie ayant 14 ans accomplis et Saint Joseph 33.»
L’histoire de la dévotion à sainte Anne
Parlons un peu des reliques de sainte Anne. L’histoire atteste que les chrétiens de l’Église primitive vénéraient avec un grand respect les reliques des saints martyrs. Et ce culte s’est étendu aux reliques de tous les proches de Jésus, de sainte Anne en particulier. Après la mort de sainte Anne, sans doute à cause des persécutions acharnées contre les chrétiens, les restes de sainte Anne furent transportés en l’église d’Apt en France. Plus tard, il y aura aussi des guerres et des persécutions musulmanes dans cette région, et le bienheureux évêque Auspice, voulant soustraire le corps de sainte Anne aux profanations, le déposa avec soin dans une crypte souterraine jusqu’à l’arrivée à Apt du roi Charles en juillet 801.
La découverte du corps de sainte Anne dans la crypte souterraine vaut la peine d’être racontée : le 26 juillet 801, le roi pieux Charlemagne visite les grands sanctuaires d’Europe. Il arrive à Apt, et y fait célébrer une messe d’action de grâces afin de restaurer en ces lieux le culte catholique que les musulmans s’étaient appropriés. Vainqueur des Sarrazins et des Lombards, le roi a pacifié la Provence. Il est accompagné de ses barons et de leurs enfants. L’un d’eux, fils du baron de Caseneuve, aveugle, sourd et muet, entre en transes et fait comprendre à l’entourage qu’il faut creuser à l’endroit où il se tient. Les ouvriers dégagent une crypte profonde et voici que, recouvrant l’usage de ses sens, le jeune homme s’écrie : « Dans cette crypte même est le corps de sainte Anne, mère de la Sainte Vierge Marie, mère de Dieu… » L’endroit déblayé, on remonte une châsse de cyprès, enveloppée d’un voile où l’on peut lire : « Hic est corpus beate Annae, matris virginis Mariae. » On ouvre la châsse et, comme c’est le cas pour les saints et les bienheureux, un parfum suave se dégage.
De ces reliques, Charlemagne préleve une partie (portion insigne de la mâchoire inférieure) pour sa ville d’Aix-la-Chapelle. D’autres fragments seront distribués plus tard à d’autres villes ou pays, souvent par l’intercession de certains personnages notables qui en faisaient la demande. Parmi ces derniers, notons Anne d’Autriche, femme de Louis XIII, le 10 novembre 1625. Puis la reine en fera trois parts et en léguera une aux Carmes d’Auray, la deuxième à la Visitation de Paris et la dernière aux religieux Prémontrés de Saint-Germain-des-Prés. Cette énumération bien sommaire de la dispersion des reliques de sainte Anne prouve aussi que, bien avant la Contre-Réforme, le culte de sainte Anne s’était répandu dans toute l’Europe.
En 550, on construit une église à Constantinople en l’honneur de sainte Anne. Le 26 juillet marque sans doute l’anniversaire de la dédicace de cette basilique. Les Franciscains l’ont inscrite à leur calendrier le 26 juillet 1263. Son culte connaît une ascension régulière depuis le XIVe siècle, dont témoigne le nombre croissant des œuvres d’art qu’il suscite (qu’on peut voir par exemple dans la multitude des statues montrant Anne, Marie et l’enfant Jésus, appelées « trinités mariales », en parallèle à la sainte Trinité). Mais l’Église interdit la représentation des trinités mariales pour éviter la confusion avec la Trinité au sens théologique. Sa popularité est telle que les Confréries de sainte Anne se multiplient à cette époque.
Les débats théologiques sur le dogme de l’Immaculée Conception au XIVe siècle ont pour conséquence d’associer plus étroitement le culte de sainte Anne à celui de la Vierge.
En 1481, le pape franciscain immaculiste Sixte IV fait ajouter la fête solennelle de sainte Anne au calendrier de l’Église romaine, le 26 juillet. En 1494 paraît le traité De laudibus sanctissimae matris Annae de Johannes Trithemius qui joue un grand rôle dans la propagation de son culte.
Si, en terre réformée, son culte décline rapidement, dans le monde resté catholique, il poursuit une belle carrière après avoir failli succomber aux épurations qui accompagnent le Concile de Trente. Grégoire XIII, sous la pression de la Contre-Réforme qui favorise le culte des saints rétablit sa fête officielle le 26 juillet (bulle du 1er mai 1584) et Grégoire XV, dans son bref apostolique Honor laudis du 23 avril 1622, en fait une fête obligatoire et chômée. Elle est célébrée sous le rite double majeur jusqu’à Léon XIII qui la rétrograde au rang de simple fête paroissiale de deuxième degré en 1879. Le 26 juillet est la fête (IIIe classe) de « Sainte Anne mère de la Bienheureuse Vierge Marie » dans le calendrier romain général 1960 et devient, dans la réforme du calendrier romain général décrétée par Paul VI en 1969, la mémoire des saints Joachim et Anne.
Cette ambivalence du culte de sainte Anne au cours de l’histoire s’explique d’une part par des rivalités entre clergés (ce sont ses promoteurs monastiques — bénédictins, chartreux, franciscains — qui écrivaient les légendes à son sujet, organisaient son culte et surtout, en tiraient profit aux dépens des ressources du clergé paroissial), d’autre part par les nombreuses légendes autour de la sainte qui renforçaient la foi du peuple triomphant, s’opposant à l’incrédulité des doctes et à la réticence des autorités religieuses à autoriser un culte qui relevait du folklore populaire.
(À suivre : IIIème partie de III la semaine prochaine)
+Guy Desrochers, C.Ss.R.
Évêque de Pembroke