ARTICLE – La patience est l’aiguille, l’amour en est le fil

L’évangélisation n’est pas un événement, mais un cheminement. Elle ne s’évalue pas à l’aune des résultats immédiats, mais à celle de la fidélité dans le temps. Dans l’art délicat de rapprocher les âmes du cœur de Dieu, il nous faut apprendre à coudre avec lenteur et espérance : la patience est l’aiguille, l’amour est le fil.

Le Christ lui-même trace ce chemin. Dans l’Évangile selon saint Marc, il déclare : « Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui aurait jeté la semence en terre : nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et pousse, il ne sait comment » (Mc 4, 26-27). L’évangélisation participe de ce mystère divin de croissance : nous semons la Parole, mais sa germination se déploie dans le secret, dans la durée, sous l’action de la grâce. La patience n’est donc pas une forme d’attentisme, mais un acte de confiance. Évangéliser, c’est imiter la miséricorde patiente de Dieu, « qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4).

Le Directoire pour la catéchèse (2020) confirme cette dynamique : « L’évangélisation demande un processus graduel ; il faut savoir attendre, respecter le rythme de l’autre, rester présent avec constance et affection » (§38). Autrement dit, ce n’est pas notre agenda qui guide la mission, mais celui de Dieu. Le grain de l’Évangile peut demeurer enfoui dans le terreau du cœur humain pendant des années. L’évangélisateur, tel un jardinier aimant, doit arroser, veiller, patienter.

Le pape François, dans Evangelii Gaudium, formule ce principe avec justesse : « Le temps est supérieur à l’espace ». Et d’expliquer : « Ce principe nous pousse à travailler dans la durée, sans obsession pour les résultats immédiats. Il nous aide à supporter avec patience les situations difficiles et adverses, ou les changements de plans que l’imagination impose » (§223). L’évangélisation, ainsi comprise, ne relève pas d’une conquête mais d’une fidélité cultivée. Nous ne sommes pas des ingénieurs de la conversion, mais des compagnons de route.

Or, si la patience est l’aiguille, c’est l’amour qui tisse l’ensemble. L’évangélisation est, au fond, un acte d’amour. Comme le rappelle saint Paul : « L’amour du Christ nous saisit » (2 Co 5, 14). Évangéliser, ce n’est jamais manipuler, forcer ou imposer ; c’est laisser déborder l’amour. L’amour qui écoute. L’amour qui discerne. L’amour qui persévère. C’est cet amour qui rend notre patience crédible et notre témoignage lumineux.

Les saints en ont été les témoins. Sainte Monique pria près de vingt ans pour la conversion de son fils Augustin. Sa patience, tissée de larmes et nouée par l’amour, enfanta un des plus grands théologiens de l’histoire de l’Église. Saint François Xavier, après des années d’un apostolat infatigable, mourut sans avoir vu le fruit complet de sa mission en Asie. Pourtant, son témoignage sema des graines qui, des siècles plus tard, portèrent une abondante moisson. La patience sans amour devient résignation ; l’amour sans patience devient impatience. Ensemble, ils forment la trame de la mission chrétienne.

Le cœur humain, dans toutes les cultures, reconnaît cette sagesse de l’Évangile : la transformation véritable prend du temps, et elle passe toujours par l’amour. Évangéliser, c’est donc imiter le Christ, Bon Pasteur. Il marche avec ses brebis. Il attend les égarés. Il appelle chacun par son nom. Dans l’épisode des disciples d’Emmaüs (Lc 24, 13-35), Jésus chemine avec eux, écoute leur tristesse, puis se révèle discrètement dans la fraction du pain. Il ne précipite rien. Il accompagne. Voilà le modèle pastoral de toute évangélisation.

À notre époque, la tentation de l’efficacité et des résultats mesurables est forte. On se décourage quand les foules ne répondent pas, quand les églises sont vides, quand la catéchèse semble stérile. Mais rappelons-nous : Dieu agit dans le secret. Notre rôle n’est pas de forcer la croissance, mais de rester fidèles. L’évangélisation n’est pas le marketing d’un produit religieux, mais la révélation d’une Personne divine – Jésus-Christ – dont le regard d’amour éveille la liberté.

Le cardinal John Henry Newman l’exprimait ainsi : « Dieu m’a créé pour lui rendre un service bien défini… Je suis un maillon dans une chaîne ». Peut-être ne verrons-nous jamais l’autre extrémité de cette chaîne. Mais par notre fidélité — ce tissage patient de l’amour — nous la rendons plus solide.

N’oublions pas la puissance des gestes simples et répétés : une oreille attentive, une parole d’encouragement, un service discret, une prière silencieuse, une vie vécue avec cohérence. Ce sont là les points de couture de l’évangélisation. Et, avec le temps, ils deviennent un vêtement splendide : l’Église resplendissante de l’amour du Christ.

Alors, nous continuons. Nous semons la Parole. Nous attendons avec patience. Nous aimons sans compter. Car l’évangélisation, comme l’Incarnation elle-même, est l’œuvre lente de Dieu au milieu de nous.

La patience est l’aiguille. L’amour est le fil. L’âme du monde se répare, point après point.

Pierre-Alain Giffard
pierre.alain.giffard@gmail.com

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